Lettre / Le Front commun pour les arts se tourne vers le fédéral et réagit au budget du gouvernement Carney

Lettre / Le Front commun pour les arts se tourne vers le fédéral et réagit au budget du gouvernement Carney

13 novembre 2025


Quelques jours propices à la réflexion et à la concertation se sont écoulés depuis le dépôt du premier budget du gouvernement de Mark Carney. Vendredi dernier, en conférence de presse, le ministre Steven Guilbeault qualifiait les investissements pour la communauté artistique d’« historiques », affirmant qu’il s’agit là du plus important budget en culture jamais réalisé.

Saluons les reconductions et bonifications

Principalement orienté vers le soutien des industries de l’audiovisuel, ce budget réjouit les milieux du cinéma, de la télévision et des plateformes numériques, qui verront leurs capacités de production et de diffusion renforcées grâce à la confirmation d’un apport financier substantiel. Le budget 2025 annonce également la volonté du gouvernement fédéral de créer un système de droit de suite dans le domaine des arts visuels, ce qui était réclamé à juste titre depuis près de 20 ans.

« Le droit de suite, qui permet aux artistes de recevoir une part de la valeur de leurs oeuvres quand elles sont revendues, contribuera concrètement à améliorer les revenus et conditions de pratique des artistes partout au Canada. » - Camille Cazin, directrice générale du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec

Autre source de soulagement : Les festivals et diffuseurs pourront profiter de la reconduction des enveloppes dédiées aux programmes « Fonds du Canada pour la présentation des arts » et « Développement des communautés par le biais des arts et du patrimoine ».

Constatons les manquements

L’heure n’est toutefois pas qu’aux réjouissances. Chez les artistes, les compagnies et organismes soutenus par le Conseil des arts du Canada (CAC), le budget laisse entrevoir des années de contraintes.

Nous reconnaissons pleinement la valeur du geste du gouvernement fédéral qui a finalement exonéré le CAC de la compression de 15 % imposée par l’Examen complet des dépenses (ECD). Toutefois, nous exprimons d’une seule voix nos profondes préoccupations face à la maigre augmentation du financement accordé au CAC. L’an dernier, nous l’avons répété inlassablement : les coûts de production et de diffusion artistiques explosent et l’inflation fragilise les conditions de vie et de travail aussi bien des artistes que des travailleurs et des travailleuses culturelles. Il est impératif que les fonds alloués aux différents conseils des arts suivent le pas.

En mars 2025, le Québec a compris cet état de fait, et le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec a été significativement bonifié pour être porté à 200 M $. Soulignons au passage, l’engagement de la nouvelle mairesse de Montréal à augmenter de manière importante et rapide le financement du Conseil des arts de Montréal le faisant passer d`environ 22 M $ à 30 M $ d’ici 2028. Or, l’augmentation de 2 M $ par année du budget du CAC, soit à peine 0,5 % de son budget total, est jugée nettement insuffisante. C’est un apport bien en deçà des besoins réels du milieu chiffrés à 140 M $ par la Coalition canadienne des arts. De nouveaux investissements sont nécessaires pour soutenir les créatrices et créateurs, satisfaire les hauts standards de qualité que commande la production artistique et assurer une compétitivité sur tous les marchés. Les fonds consacrés au CAC ne laissent aucunement présager le maintien des acquis, ni l’amélioration tant attendue des conditions de travail. Il ne faut pas oublier que le CAC a déjà dû compresser son budget de 2,7 % dans la dernière année et que le bris de service se fait déjà sentir malgré tous les efforts déployés par la société d’État.

« Plusieurs témoignages d’artistes et d’organismes du Québec et de partout au Canada mentionnent ne plus recevoir de soutien depuis 2023 que ce soit pour la réalisation de projets ou du fonctionnement. L’effritement de l’écosystème est palpable sur le terrain et engendre encore des situations désastreuses sur le plan de la réalisation d'oeuvres et de leur diffusion » - Sonia Pelletier, directrice générale du REPAIRE

Les établissements de formation supérieurs sont aussi en reste avec une énième stagnation enregistrées au cours des 15 dernières années du Fonds du Canada pour la formation dans le secteur des arts (FCFSA), affectant leur budget d'opérations. Ce nouveau gel survient après un début de mise à niveau non complétée et imparfaite dudit fonds.

Nous déplorons enfin l’absence de mesures claires portant sur le filet social des artistes, maintes fois revendiquées par les milieux et promises lors de la campagne électorale. Au printemps dernier, le Front commun pour les arts a privilégié la mise en place d’un processus devant aboutir à une proposition complète, inclusive et documentée. Ainsi, de nombreuses associations disciplinaires, syndicales territoriales québécoises ont confié à Compétence Culture, notre comité sectoriel de la main-d’oeuvre, le mandat de mener un chantier rigoureux de recherche et de concertation destiné à définir un modèle de protection adapté aux réalités protéiformes du travail artistique. Les réponses concrètes quant à l’appui financier du fédéral à ce chantier responsable et d’envergure se font encore attendre.

« La précarité chronique de l’artiste n’est pas une fatalité : c’est le résultat d’un cadre public inadapté aux réalités du travail artistique. Il est plus que temps que l’État assure aux artistes, par différents dispositifs complémentaires, des conditions de vie dignes de leur immense contribution à la société ». - Parise Mongrain, directrice générale du Regroupement québécois de la danse.

Appel au dialogue

Nous, collectif d’associations disciplinaires, syndicales et territoriales, établies au Québec, interpellons le ministre Steven Guilbeault à titre de lieutenant du Québec du parti Libéral du Canada et le ministre des Finances et du Revenu national, François-Philippe Champagne, afin d’engager avec nous un dialogue ouvert et constructif.

En mars 2025, le Québec a fait sa part. Il a misé sur les arts et la culture, pour dynamiser, valoriser et faire rayonner son identité nationale par le truchement du travail de ses artistes et artisan·es. Cependant, les augmentations consenties par le gouvernement québécois aux arts et à la culture ne peuvent pas compenser le désengagement manifeste du fédéral à l’endroit des artistes qui oeuvrent au Québec : alors que le secteur de l’audiovisuel a bénéficié de hausses ciblées, les arts de la scène, les arts visuels, la littérature et les métiers d’art demeurent largement laissés pour compte.

Nous nous devons de réclamer plus de cohérence dans le discours et les décisions étatiques à l’aube de ce qui s’apparente à une réelle crise de santé publique caractérisée notamment par une dépendance aux écrans et un effritement du liant social. De fait, dans un monde aussi polarisé que le nôtre, la culture doit plus que jamais être soutenue pour qu’elle puisse jouer véritablement son rôle : fortifier la souveraineté, l’identité et l’humanité de son territoire.

Ont signé cet appel à la collaboration, les membres du Front commun pour les arts suivant·es :

Parise Mongrain, Regroupement québécois de la danse (RQD)
- Caroline Gignac, Conseil québécois du théâtre (CQT)
- Hélène Hotton, Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ)
- Sonia Pelletier, Regroupement de pairs des arts indépendants de recherche et d’expérimentation (REPAIRE)
- Catherine Bodmer, Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ)
- Camille Cazin, Regroupement des artistes en arts visuels du Québec ( RAAV)
- Nadia Drouin, En Piste, regroupement national des arts du cirque
- Julie-Anne Richard, Association professionnelle des diffuseurs de spectacles - RIDEAU
- Guy Bernard, Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ)
- Lily Thibeault, Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP)
- Dominic Trudel, Conseil québécois de la musique (CQM)
- Éric Lord, Réseau Culture 360°
- Françoise Landry, Regroupement des arts de rue (RAR)
- Tania Kontoyanni, Union des artistes (UDA)
- Mo Carpels, Regroupement du conte au Québec (RCQ)



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